Sabine Buchmann, de la miniature au conte

par | Déc 15, 2004 | 0 commentaires

En 1987, lorsque Sabine Buchmann vient s’installer en Turquie, elle fait une découverte fondamentale pour sa vie : la miniature. J’avais essayé de peindre des aquarelles, mais je n’avais pas réussi car j’avais besoin de contourner mes sujets, je ne pouvais pas les laisser s’étendre sans une limite bien précisée. Elle a toujours peint, pour se réfugier ou simplement pour s’accompagner… Elle a 21 ans lorsqu’elle arrive en Turquie. En essayant de faire connaissance avec son pays d’adoption, mais sans encore posséder la langue, elle découvre la miniature ottomane qui, à la différence des miniatures persanes purement mythiques, racontent des véritables événements de l’histoire de l’Empire. D’abord des illustrations, ces miniatures occupent de plus en plus l’espace de la page et tendent à remplacer le texte. Sabine s’en inspire et ses peintures deviendront plus tard des tableaux à part entière.

Durant les premières années, elle copie et reproduit pour apprendre la technique puis, peu à peu, elle s’imprègne complètement de l’esprit et commence ses propres productions. Les apprentis modernes de la miniature ottomane, patrimoine important de la culture turque, ne font que copier des sujets anciens. Mais Sabine choisit de ne plus s’inspirer du passé. Elle peint le monde qui l’entoure et son regard sait trouver ces détails qui parlent d’aujourd’hui.

Elle peint Istanbul, ville qu’elle a finie par apprivoiser. Elle a déniché le secret de ses charmes. Parmi eux, il y a la mer et les bateaux. En Turquie, la tradition du verre d’eau l’enchante. Derrière tous ceux qui partent on lance un verre d’eau pour lui signifier « va comme l’eau », ce qui veut dire : va dans le bon sens des choses, comme seule l’eau sait le faire… Quant aux navires, elle aime les voir partir et revenir. Ils sont pour elle l’image de la vie. De la myriade de bateaux qui sillonnent le Bosphore, elle préfère les plus vieux, les plus tranquilles, ceux qui transportent quotidiennement et pour un petit prix, tous ceux qui vont d’une rive à l’autre. Lorsqu’elle devait en prendre un pour aller travailler, elle appréciait de se faire arrêter dans sa course quotidienne. Enfin le temps de goûter le temps. La vie est si courte qu’il est bon que l’on soit parfois obligé de la savourer, dit Sabine. Sa dernière exposition y a trouvé son inspiration, elle a peint les « vapurlar » d’Istanbul. N’étant plus obligée de le prendre, le bateau lui manquait. Alors, pour le récupérer un peu, elle l’a peint.

Lorsqu’on parle de voyage à Sabine, elle parle de vie. Pour elle le voyage n’est pas celui qui lance sur les routes mais celui qui se fait à l’intérieur, jour après jour, douleur après douleur… celui qui trace les contours de chacun. Et son voyage a besoin de la miniature pour se réaliser. Pour Sabine peindre ce n’est pas un hobby, ce n’est pas non plus un travail…c’est une manière de vivre…Et lorsqu’une maladie ou une fatigue insidieuse l’empêche de dessiner, elle est terriblement malheureuse. Elle sent qu’elle n’avance pas, que son voyage est bloqué… Peut-être parce que la miniature, avec la précision mécanique qu’elle demande, libère son mental des charges inutiles et lui permet de se construire… Elle sait que le voyage de chacun engendre sa dose de tristesse, alors elle choisit de seulement partager la lumière et le sourire…

Elle a résolument choisi de donner à voir le monde sous le prisme de la gaieté…

Lorsqu’on est sensible aux miniatures, on est saisi par la magie qui s’en dégage. La miniature a le merveilleux des contes Merveilleux qui émane de l’ambiance intemporelle qui y règne et de l’abolition des dimensions. La miniature c’est du réalisme à la manière des enfants, mais le trait est adulte. Elle est liée au conte en ce qu’elle égrène des histoires avec les images comme l’écrivain avec les mots. On dit en Turquie que les miniatures ne se regardent pas mais se lisent…

Actuellement Sabine sent le besoin de la parole écrite. Elle a déjà publié un premier livre de contes illustré, et aujourd’hui elle publie le deuxième. C’est le début d’une collection de cinq volumes qui racontera, à deux voix, celle de l’image et celle des mots, des petites histoires sur Istanbul. Un projet qui, étant publié en trois éditions bilingues : turc/français, turc/anglais et turc/allemand, a l’ambition de créer des ponts entre ces cultures.

Istanbul, décembre 2004